La disparition de Telltale est une triste nouvelle… Est-elle aussi un mauvais signe ?
Le studio Telltale s’est surtout fait connaître du grand public avec la sortie de la brillante adaptation vidéoludique de The Walking Dead. Il s’était spécialisé dans le développement de jeux narratifs à contenus épisodiques. Plus précisément des jeux d’aventure à la narration impeccable (digne des productions télévisuelles américaines), au rythme soutenu et découpés en épisodes (comme pour une série TV), intégrant (il faut le reconnaître) un gameplay simplifié (dans l’esprit des FMV (Full Motion Vidéo) des années 90). La disparition de Telltale du paysage vidéoludique annonce bien la fin de cette prolifération de jeux épisodiques.
La question subsidiaire et que tout le monde se pose ensuite est : est-ce la fin tout court de l’âge des jeux épisodiques ? Vont-ils subir le même sort que les FMV qui ont soudainement disparu du radar dans les années 2000 ?
Est-ce la fin des production de jeux épisodiques ?
Une catastrophe aussi soudaine et massive ne peut être seulement le fait du hasard. Telltale a forcément échoué. Où ça ?
Notamment dans le fait que l’expérience proposée par un jeu Telltale se résume si l’on force le trait à une série animée interactive. Ce n’est pas ce que veulent la majorité des joueurs aujourd’hui. Une production Telltale ne sollicite pas assez les compétences du joueur, ne le laisse pas assez en contrôle (la liberté d’action est souvent faible, même quand le jeu propose des choix moraux, l’impact des décisions de l’utilisateur sur la trame narrative est minime). C’est l’une des raisons majeures de l’échec du rêve de Telltale. Ne produire qu’un genre de jeu et ne concevoir qu’un genre de gameplay (fermé et trop minimaliste). Pascal Luban a d’ailleurs, avant moi, très bien analysé cette faille dans le « modèle à la Telltale ».
Il est facile alors d’en conclure que le jeu épisodique n’est qu’un épiphénomène, un concept qui a surfé sur la nouveauté et s’est vite essoufflé. C’est aller trop vite en besogne, « ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ». Je rejoins encore l’avis de Pascal Luban, le contenu épisodique a des vrais atouts sur le marché du jeu vidéo.
Je vais en revenir sous peu, mais j’aimerais souligner que le crash spectaculaire de Telltale est lié, selon moi, à des erreurs stratégiques. Le studio a commis l’erreur de trop miser sur ce modèle, c’est-à-dire de développer de nombreux projets en parallèle : Games of Thrones, Tales from the Boderlands, Batman, The Wolf Among Us, Minecraft Story Mode… De ne produire exclusivement que des jeux épisodiques (viser toujours la même cible) au lieu de diversifier son portefeuille d’activités. Telltale a trop embauché, a trop investi, persuadé qu’il avait trouvé la martingale…
Ces erreurs-là n’ont rien à voir avec le contenu (qu’on pourrait qualifier de : « aventure épisodique »), elles sont surtout le fait de l’entreprise, victime du syndrome de « La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf ». D’autant que le modèle épisodique ne se résume pas à Telltale…
L’épisodique est avant tout un format
Le studio Dontnod a connu un authentique succès avec Life is Strange. Ils ont cependant pris leur temps avant de développer la deuxième saison. Certes, ils ont fait patienté leur public en proposant un prequel (Before the Storm), mais l’effort de production n’était pas le même. Remarquez surtout que Dontnod, à la différence de Telltale, ne produit pas que des contenus épisodiques. Dontnod a réalisé d’ambitieux jeux d’action et de RPG, comme Remember Me, Vampyr. Et c’est bien pourquoi, Dontnod est moins menacé par l’échec d’une possible troisième saison de Life is Strange (je pense en effet qu’il n’y a pas à s’inquiéter pour la seconde saison).
Enfin, et je rejoins encore l’avis éclairé de Pascal Luban, le mode épisodique ne devrait pas se réduire aux seuls jeux d’aventure faisant la part belle au design Point’n’clic et aux choix multiples. Le mode épisodique est avant tout une vision de Narrative Design (plus high level). Il s’agit surtout de concevoir l’expérience de jeu comme une succession d’épisodes, (de levels) qui seraient produits en parallèle de la diffusion du premier chapitre.
Alan Wake du studio Remedy, qui n’a pas été commercialisé sous le format épisodique, a pourtant été conçu ainsi. Chaque level est un épisode du jeu. Plus récemment, République du studio Camouflaj a été commercialisé de cette manière. Il est très facile d’imaginer un jeu de puzzle de type The Room qui serait vendu « à la pièce » (le niveau), si je puis me permettre l’expression.
Au final, la fin du Telltale, si elle m’attriste, ne signe pas la fin des contenus épisodiques, car ces derniers sont avant tout des formats, des modèles de conception (Narrative Design, Level design), qui peuvent s’appliquer à différents genres de jeux. Il me tarde de voir quels seront les studios qui appliqueront, avec intelligence, le format épisodique pour leur projet.