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Jeu vidéo : les architectures narratives – 3) La narration en entonnoir

Les architectures narratives – 3) La narration en entonnoir

Pour cette troisième semaine consacrée aux arborescences de narration interactive, nous allons nous intéresser à la forme la plus classique, celle popularisée par les livres-jeux : la narration en entonnoir.

La narration en entonnoir

Comme on l’a vu précédemment, la narration en éventail étant une structure peu réaliste, les narrative designers ont finalement souvent recours à la structure en entonnoir.

Inventée par les expériences de type CYOA (Choose Your Own Adventure, les Livre-dont-vous-êtes-le-héros), elle a été reprise ensuite par les jeux vidéo d’aventure (comme The Secret of Monkey Island).

On tente ici de rationaliser la diversification des choix à certains embranchements. On n’hésite pas non plus à resserrer l’éventail des parcours à seulement quelques chemins parallèles : plusieurs sentiers finissent par converger vers le même embranchement (principe d’entonnoir).

Contrairement à la structure en éventail qui parie sur la rejouabilité, on se concentre sur les conséquences de quelques choix substantiels ou mémorables de l’utilisateur. Des choix qui influeront le cours de l’histoire et son dénouement.

Les jeux du genre Aventure ou Point’n Click, qui accordent beaucoup d’importance à la narration, s’inspirent de cette structure. Notamment Heavy Rain (chaque personnage jouable a environ 4 fins conditionnelles, selon les actions du joueur) et les jeux épisodiques comme The Walking Dead ou Life is Strange.

1) un compromis entre narration et jouabilité

Cette structure est un compromis entre la narration scriptée et l’architecture en éventail.

Le joueur vit une expérience personnalisée, un parcours de jeu qui correspond à ses choix. Le système garde une trace de ses décisions.

Par le back-tracking (invisible)

Des jauges ou des variables invisibles qui quantifient ou qualifient le statut du joueur en fonction de ses actions. Certains chapitres, comme les épilogues de Heavy Rain, sont débloqués en fonction des trophées acquis par le joueur.

Par des feedbacks (visibles)

« Clémentine se souviendra de… » (artifice popularisé par The Walking Dead).

Les auteurs, eux, gardent un contrôle sur l’impact émotionnel en limitant la variation des lignes narratives à certaines scènes qui en ont le potentiel.

2) un coût non négligeable

Construire plusieurs lignes narratives nécessite cependant du temps, des talents et donc de l’argent. Plus l’expérience est ambitieuse sur le plan de la technologie (durée de jeu substantielle, graphisme 3D, motion capture, enregistrement de voix d’acteurs, musique originale, etc.), plus il faut rationaliser la production des éléments narratifs. En ne produisant que le volume additionnel strictement nécessaire. Contrainte que connaît déjà bien la chaîne de fabrication de dessin animé traditionnel : découpage du cadre en différentes feuilles de celluloïd (décor, personnages, poses clés, accessoires). Pour la construction, on ne modifie que le nombre minimum de celluloïd, ce qui permet d’économiser sur le coût de production par la réutilisation d’assets (les cellulos) déjà produits.

Il faut cependant s’assurer que les actions du personnage joué aient un impact logique par la suite. Dans The Wolf Among Us, Bigby (le personnage joué) peut décider de tuer Dum (l’un des deux jumeaux Tweedle du conte d’Alice : De L’autre côté du Miroir). Malheureusement, quand Bigby débarque dans l’antre du Boss (the Crooked Man), la réaction du frère jumeau : Dee, est trop faible. Il devrait aussitôt sauter sur Bigby ou lui tirer dessus. La narration nous a plutôt dépeint les frères Tweedle comme des êtres violents et soudés. Là encore, c’est la pression budgétaire qui l’a probablement emporté sur la cohérence artistique. C’est dommage.

3) le cas des fins alternatives

À défaut de proposer un arbre de possibilités, certaines structures narratives se limitent à quelques parcours parallèles. En général, deux voies, qui aboutissent à deux fins différentes. Ces fins dépendant d’un choix, à un moment donné, ou de sa répétition à certains passages dramatiques. Ce choix est souvent d’ordre moral.

Dans la série de fantasy Fable, Le joueur peut décider d’emprunter la voie du mal (Evil) ou, au contraire, celle du bien (Good). Selon les actions du joueur, l’alignement de son personnage s’oriente d’un côté ou de l’autre. La scène de fin dépendant finalement de son alignement. De même, Knights of the Old Republic (jeu vidéo RPG situé dans l’univers de Star Wars), propose une structure équivalente. Le joueur choisit de suivre le côté obscur ou, au contraire, le côté lumineux de la Force. De son choix (Sith ou Jedi ?), découlera son cheminement et sa fin : prendre le contrôle de la cabale des Siths (côté obscur) ou vaincre les forces Sith (côté lumineux).

Responsabilité du joueur

L’intérêt de ces fins alternatives est de responsabiliser le joueur en l’impliquant dans l’histoire (« tu as voulu ça, voilà ce qui se passe »). Cette implication renforce l’immersion et permet au jeu de s’adapter aux attentes des joueurs, envie : d’héroïsme, de se défouler, de jouer avec le système,…

Mais des conséquences souvent faibles

Malheureusement, les jeux qui proposent des fins alternatives n’osent pas aller au bout de leur intention. Généralement, les conséquences du choix du joueur ne sont pas assez discriminantes. C’est parce qu’également, cela a un impact économique certain. Les producteurs préfèrent encore une fois rationaliser : changer seulement une réplique ou deux, enlever ou ajouter un personnage non joué. On évite ainsi de fabriquer deux scènes entièrement distinctes, mais on y perd la sensation de différenciation, d’influence, d’enjeu (agency).

Les utilisateurs qui prennent le temps d’explorer les différentes fins possibles se sentent alors floués par le jeu, qui les ramène toujours sur le même chemin, ce qui est dommageable pour l’expérience.

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Ronan Le Breton

Ronan Le Breton Story Designer Story Teller Narrative Designer Auteur de mauvais genres

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