L’Album BD, du format presse au format librairie
Après l’âge d’or des kiosques, la BD s’est retrouvée à son tour dans les librairies, comme les autres livres (sans image). C’est l’apparition du format « album ».
Le terme « album » recouvre en réalité des styles et des formats fort différents. Plus précisément 3 formats, ou plus exactement deux et demie.
- La série, qui se décompose en deux catégories : unitaire ou feuilletonnante)
- Et l’album-roman ou « Roman Graphique » (qui ne s’inscrit pas dans une continuité, mais se lit individuellement comme un roman).
Je vous propose d’étudier là encore les spécificités de la narration des albums (série ou Roman Graphique).
1) La Série
La série se développe surtout après la seconde guerre mondiale, en France comme en Belgique. À l’origine, elle provient de la presse : Le Journal de Tintin ou Pilote. Vers la fin des années 80 et la crise de la presse BD, elle s’affranchit de son exploitation en kiosque et se retrouve dans des magasins spécialisés et les grandes surfaces. Elle est aujourd’hui le cœur de la production BD, là où les grands éditeurs réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires (Bamboo, Casterman, Dargaud, Delcourt, Dupuis, Fluide Glacial, Glénat, Le Lombard, Soleil…). Le terme « série » regroupe en réalité deux genres et formats différents.
- La série unitaire, dans laquelle, chaque tome contient une histoire relativement autonome. Il s’agit parfois de recueils de planches gag et des strips BD (Gaston Lagaffe, Garfield, Calvin & Hobbes…) et d’authentiques aventures complètes à destination de la jeunesse et du grand public (Les Schtroumpfs, Iznogoud, Spirou et Fantasio…)
- La série feuilleton, elle, développe dans chaque tome un segment de l’intrigue. Dans ce cas, elle donne rendez-vous au lecteur pour la suite du récit dans l’album suivant.
Dans les deux cas, les auteurs cherchent à fidéliser le lecteur, l’inciter à revenir vers les personnages, l’univers, l’intrigue.
Ce qui en effet, caractérise ces deux types de séries est cet enjeu d’engagement, d’immersion dans un univers familier. Un monde qui peut être agréable, mystérieux ou au contraire sordide comme l’est celui de la série Rat’s de PtiLuc (une décharge dans laquelle s’applique la loi du plus fort et du plus vil).
Cette question d’engagement est même une nécessité pour l’espérance de vie de la série. Le marché de BD contemporaine est tellement généreux en termes de nouveautés, trop même : le public a du mal à suivre. Les ventes (mêmes celles des séries phares) et les tirages moyens baissent, les taux de retours (les albums non vendus) s’accroissent.
La série BD, qui n’est plus testée préalablement en kiosque, risque gros, comme les séries TV US qui sont parfois raccourcies, annulées en cours de diffusion. Les éditeurs privilégient quand même le format série car il est plus rentable à long terme, quand le public est au rendez-vous.
On voit alors aujourd’hui se mettre en place un compromis éditorial, qui cherche à concilier espérance de succès et gestion du risque lié à l’abondance de l’offre narrative (pas seulement dans le secteur du livre mais sur tous les médias : TV, web, jeu, cinéma…). C’est le modèle de la micro-série : le triptyque ou le diptyque. L’arche narrative ne s’étire que le temps de 2 ou trois tomes. Un temps suffisant pour engager le lecteur dans un récit plus ambitieux, mais pas trop long, afin de ne pas le perdre avant la résolution de l’intrigue. En général, la parution des albums se fait dans l’espace d’une année (deux, tout au plus).
Dans l’hypothèse où la série aura la chance d’aller jusqu’au bout de son récit, ce genre offre de même nouvelles possibilités narratives aux auteurs. Le récit se développant sur un album complet, voire plusieurs tomes, l’espace narratif s’élargit. Le scénariste et le dessinateur peuvent creuser leur monde, proposer des personnages plus complexes, plus nuancés, plus adultes.
Pour résumer, la série BD se caractérise par :
- Un univers plus étendu que dans la planche gag (les auteurs ont la possibilité de concevoir un monde original et complexe)
- Des décors récurrents (pour immerger le lecteur dans un monde qu’il s’approprie de plus en plus)
- Des personnages attachants ou fascinants, mais pas stéréotypés
- Des personnages qui peuvent évoluer au cours de la série
- Une intrigue plus riche, voire aussi complexe qu’un roman ou un film
- Un appel à l’engagement (implicitement, la BD donne rendez-vous au lecteur pour la suite des aventures, qu’elles soient dans la continuité du récit ou pas)
- Un public fidèle (enjeu commercial)
Je n’en dis pas plus ici, j’aurai l’occasion plus loin de revenir sur la conception et l’écriture de la série BD dans un article plus approfondi.
2) Le Roman Graphique
Je termine cette section par un format d’album qui s’est épanoui à la fin des années 1990. Il n’est pas si nouveau, mais a connu un fort regain d’intérêt, tant auprès des nouveaux auteurs et éditeurs, que du public. Ce terme de « Roman Graphique » est emprunté à celui de « Graphic Novel », qui nous vient des USA. Le « Graphic Novel » désigne une « BD d’auteur » , qui s’oppose donc à la « BD d’éditeur » : la série de super héros ou la série d’aventures.
En ce qui concerne le marché franco-belge, le Roman Graphique se caractérise ainsi :
- Une pagination libre et donc variable d’un album à l’autre (les auteurs n’ont plus l’obligation de faire entrer leur récit dans un format fixe)
- Un format souvent plus petit, plus proche du roman (littéraire) et du trade paperback américain
- Un récit autonome : un album déroule un récit complet, comme un roman. Ici, on ne demande pas au public d’attendre une éventuelle suite.
Si on libère l’album de l’obligation de teaser le lecteur ou de lui donner envie de lire la suite (dans un an) par un cliff-hanger, l’ouvrage court cependant le risque de passer inaperçu. Les ventes du premier tome d’une série peuvent être rattrapées par celles du second tome qui trouve enfin son public. Un one-shot (une BD unique) n’a pas de seconde chance.
- Un style graphique libre, qui permet l’expression artistique (la collection Mirages chez Delcourt, Écritures chez Casterman) et l’expérimentation conceptuelle (3 Secondes de M.A. Mathieu)
C’est l’une des raisons (avec la pagination libre) qui poussent les auteurs à adopter ce format, plus propice à l’expérimentation et à l’expression personnelle.
- Enfin, la couleur n’est pas une nécessité, comme pour le format 46 pages. De nombreux romans graphiques sont en Noir et Blanc ou en bichromie. Cela correspond plus facilement à ce format et ce public, qui veut une « BD d’auteur » (entendre par là un récit ou une esthétique audacieuse, artistique, exigeant(e))
Un « format » qu’on trouve et qu’on conseille souvent de présenter aussi aux éditeurs : le diptyque. C’est une histoire en 2 tomes : on va au bout même si ça ne marche pas trop. Il faut aussi minimiser le temps entre la sortie des deux tomes pour ne pas perdre les lecteurs. Une trilogie c’est déjà plus risqué, on en a vu s’arrêter au bout des 2 premiers tomes (ex : Nova chez Soleil).
C’est vrai aussi Matthieu. Je l’avais zappé. Merci pour ta remarque. 🙂