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Typologie de la quête : WoW versus Propp & Polti

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La Typologie des quêtes RPG

Les quêtes dans un jeu de RPG se suivent et finissent souvent par se ressembler. C’est d’ailleurs ce que déplorent de nombreux joueurs : cette répétition dans le motif et la nature de la quête (en particulier, la quête secondaire), qui finit par lasser et briser l’illusion d’incrédulité (le joueur ne vit pas une aventure épique, il subit les caprices d’un système de jeu prévisible et ennuyeux).

Il est vrai que la liste des actions à faire pour accomplir ces défis, en particulier les quêtes annexes, n’est pas bien longue. Difficile d’en énumérer une centaine, la liste est bien plus courte. Sans vouloir toutes les énumérer, voici une sélection des principales quêtes possibles :

  • Discuter avec quelqu’un : Le Personnage Joueur doit aller voir tel Personnage Non Joueur pour obtenir une information (ou un objectif de quête).
  • Trouver : Le PJ doit trouver et rapporter quelque chose à quelqu’un.
  • Livrer : Le PJ est envoyé en mission pour délivrer une lettre, un message, un objet.
  • Tuer : Le PJ reçoit comme mission ou objectif d’éradiquer une menace incarnée par un groupe de voleur, un monstre ou adversaire qu’il doit éliminer.
  • Escorter : Le PJ reçoit comme mission de protéger un PNJ qui doit aller d’une zone A à C, en traversant une zone B infestée de créatures dangereuses.
  • Rassembler/Fabriquer : Le PJ est amené à collecter un certain nombre d’item.

Le jeu peut faire plus élaboré en articulant plusieurs quêtes afin de générer une mission plus complexe. Par exemple : retrouver la piste d’un dangereux brigand et l’éliminer (Trouver+Tuer)…

Est-ce que ce format contraint et limité (en formules et verbes d’action) est spécifique au RPG ou au jeu vidéo ? La réponse est non.

La Typologie des quêtes selon Propp

Pour Vladimir Propp, dans son livre : « Morphologie du Conte », tous les contes de fée (schéma narratif qui met systématiquement en scène un héros poursuivant une quête), s’articulent autour du schéma suivant.

Méfait  =>   Réaction     =>   Réparation    =    Nouvel équilibre

• Méfait. L’Agresseur (c’est-à-dire, l’Antagoniste) défait l’équilibre initial du monde et de l’histoire
• Réaction. Le Héros est obligé de réagir à ce déséquilibre, il doit réparer le tort causé
• Réparation. Le Héros, après bien des péripéties, finit par restaurer l’équilibre
• Nouvel équilibre. Ou plutôt, le Héros parvient à créer un nouvel équilibre.

Ce modèle ultra stylisé est invariant et il s’applique même à la forme narrative héroïque : BD, film, série, JDR et jeu vidéo. Ce qui change, c’est la nature du méfait, la forme de la réaction du héros, les conditions de la réparation et les caractéristiques du nouvel équilibre.

Si vous désirez en savoir plus sur l’analyse de Propp, je vous renvoie à mon précédent article sur la quête dans le conte de fée.

Certes, les contes de fées finissent par se ressembler, mais il y a une grande diversité dans les récits que nous avons à disposition. A priori, ce qui pose problème n’est pas la rigidité du cadre mais le manque de variété dans l’application et l’utilisation de ce canevas. Vous êtes toujours dubitatif ? Voyons donc un autre exemple…

Typologie des situations dramatiques de Polti

Le Français, Georges Polti (« Les 36 Situations dramatiques »), a déterminé que dans un scénario, il n’existe pas plus de 36 situations narratives possibles. Bien entendu, dans un récit dramatique, le protagoniste n’a pas forcément une quête à accomplir, mais il doit agir, trouver une stratégie pour atteindre son objectif, qui est l’enjeu de l’histoire. Polti précise que ces situations dramatiques ne correspondent pas toujours à l’intégralité de l’intrigue, elles se retrouvent à tous les niveaux de l’histoire : les actes, les scènes, les beats. Bref, l’analyse de Polti peut tout à fait s’appliquer à celle de la quête dans les RPG.

Je ne vais pas toutes les énoncer, je vais encore me contenter d’en lister quelques unes :

  • Implorer : Le protagoniste implore qu’on l’aide à affronter une menace, un péril.
  • Sauver : Le protagoniste se propose de sauver un ou plusieurs personnages.
  • Venger un crime : Le protagoniste venge le meurtre de quelqu’un.
  • Venger un proche : une vengeance au sein d’une même famille.
  • Être traqué : Le protagoniste doit s’enfuir s’il tient à la vie.
  • Détruire : Un désastre survient, ou va survenir, à la suite des actions du protagoniste.
  • Posséder : Le protagoniste désire posséder un bien (un être, etc.), une envie qui est en général excessive ou contre-nature.
  • Se révolter : Le protagoniste insoumis se révolte contre une autorité supérieure…

Avant d’aller plus loin, je vous fais remarquer que certaines situations dramatiques sont trop proches pour être à ce point distinguées : « Venger un proche » ou « Venger un crime » sont du même ordre. En outre, certaines situations dramatiques n’associent pas de verbe d’action bien marqués : « Remords » et « Retrouvailles ». Bref, cette grille n’est pas non plus parfaite, mais elle a le mérite de poser les choses avec clarté.

Si vous désirez en savoir plus sur les travaux de Polti, vous pouvez lire également l’article que je lui ai consacré.

Quoi qu’il en soit, la démonstration de Polti a beaucoup à dire sur la conception des scènes annexes et des quêtes accessoires. L’écriture théâtrale existe depuis plus de 2000 ans, et les auteurs, d’après Polti, ne font que jouer avec 36 pivots dramatiques qu’ils combinent et mettent en scène, sans pour autant trop nous lasser.

Pensez également aux sitcoms, ces séries comiques de format moyen (26mn, Brooklyn 99, That 70’s Show, The Big Band Theory) qui s’articulent autour d’un petit groupe de personnages et de quelques décors clés. Les thèmes, les motifs et les caractères évoluent peu, pourtant, les scénaristes arrivent à encore à nous accrocher et nous surprendre. On ne s’en lasse pas. The Big Band Theory en est à sa 12e saison (soit 263 épisodes) !… Bref, malgré un cadre rigide et peu évolutif, naissent quand même de belles pépites.

Enfin, la grille de Polti et ses nombreuses illustrations et exemples puisés dans la littérature dramatique, nourrissent plutôt les idées et les réponses que les Quest Designers peuvent apporter à l’enrichissement de l’expérience du joueur.

En conclusion

Pourquoi alors, dans l’écriture de RPG, les quêtes semblent alors à ce point se répéter et manquer d’intérêt et de variété ? La réponse n’est pas seulement à chercher dans le manque de possibilité de propositions de quêtes. C’est aussi une question d’imagination, de mise en scène, de réflexion sur la cohérence (avec l’univers narratif, la personnalité ou la culture des Personnages Non Joués)…

Mon impression est qu’aujourd’hui, la conception des quêtes dans un RPG se confond trop avec la vision des premiers Jeux-de-Rôles, en particulier : Donjon & Dragons, comme si le JdR n’avait pas évolué dans ses systèmes de jeu, son esthétique, ses univers, son Role Play : Runequest, L’Appel de Cthulhu, Stormbriger, Paranoia, Vampire la mascarade, Shadowrun, Nephilim…

En résumé, les quêtes de RPG se ressemblent trop parce que, souvent, au lieu de chercher une réelle variation à partir de quelques formes clés, elles se copient purement et simplement, sans tenir des spécificité du jeu en question : contexte, univers, PNJ, événements de l’intrigue.

Elles ne se posent pas les bonnes questions :
– Qu’est-ce qu’une bonne histoire ?
– Qu’est-ce que les joueurs attendent d’une quête ?

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Ronan Le Breton

Ronan Le Breton Story Designer Story Teller Narrative Designer Auteur de mauvais genres

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