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Jeu vidéo : les architectures narratives – 2) La narration en éventail

Les architectures narratives : suite

En attendant la sortie de mon manuel sur le design narratif : l’écriture de jeu vidéo, je continue de vous proposer quelques passages en exclusivité sur mon blog.

Après avoir vu la semaine précédente la « narration scriptée », structure la plus proche du modèle traditionnel, je vous propose d’étudier cette fois-ci une arborescence plus ambitieuse mais plus difficile à réaliser, aussi bien techniquement que artistiquement : la narration en éventail.

Qu’est-ce donc que la narration en éventail ?  Voyons cela ensemble…

La Narration en éventail

La narration scriptée étant trop rigide, les narrative designers ont imaginé une architecture plus ambitieuse, qui présente une véritable liberté de jeu.

À chaque nœud décisionnel, l’utilisateur a le choix entre deux actions a minima.

Le modèle de la narration en éventail est surtout théorique. Il devient très rapidement ingérable, comme nous allons nous en rendre compte. À l’exception, quand même, du jeu « The Stanley Parable », qui a su trouver à sa manière comment tirer parti de cette structure.

À la différence de la narration scriptée, The Stanley Parable offre au joueur d’explorer des cheminements qui vont mener à des issues originales et uniques. Il propose une vingtaine de fins pour seulement 5h de jeu environ. La récompense du joueur dans cette œuvre est de débloquer le maximum de fins possibles.

1) une forte rejouabilité

La narration en éventail permet au joueur de choisir à chaque fois quel chemin prendre. Cela semble un idéal de narration interactive. Au fur et à mesure des choix, les possibilités s’accroissent et les parcours divergent.
Cette liberté de choix crée au final des résolutions alternatives que l’utilisateur a alors envie de connaître. La structure en éventail donne vraiment du sens à la rejouabilité : le fait de recommencer l’expérience en empruntant un parcours différent et voir où il mène.

C’est le pari du jeu The Stanley Parable. Si le jeu est relativement bref en temps de parcours, il propose un nombre important de variations : 19 fins possibles, chacune unique en son genre. En effet, cela reste un cas d’école. Comme je l’ai précédemment dit, cette structure est avant tout théorique car très vite problématique.

2) une structure explosive

Le spectre des possibles s’élargit à chaque carrefour (nœud décisionnel) jusqu’à devenir impossible à gérer. Il faut inventer de plus en plus de choix différenciants et pertinents. Et je ne parle pas de l’explosion des coûts que cela implique (écriture et production de scènes alternatives).

À titre d’exemple, dans le cas d’une architecture composée de 2 choix à chaque scène pivot, on obtient 1 024 situations pour seulement 10 nœuds décisionnels !

La structure en éventail n’est gérable qu’à la seule condition d’avoir très peu de nœuds décisionnels (comme dans The Stanley Parable) et un temps de parcours bref. Dès que le parcours s’allonge, la structure se complexifie au point de devenir ingérable et peu réaliste en termes de rejouabilité. Seul un joueur passionné recommencera depuis le début un parcours de plus de 5 heures.

3) Un autre exemple de narration en éventail : The Deed

J’ai découvert il y a peu un petit jeu sur Steam, qui exploite à fond cette idée de rejouabilité en proposant un squelette simple et court : « The Deed ». Votre objectif est simple et univoque : tuer votre soeur pour hériter à sa place. Mais pour remplir les deux conditions de victoire (échapper à la police et empocher le magot familial), il vous faudra trouver la bonne arme & le bon indice qui permettra de faire porter le chapeau à quelqu’un d’autre (votre mère, votre père, la bonne, le majordome ou votre soeur elle-même).

Vous l’avez compris The Deed, tout en suivant un déroulé quasi-linéaire offre au joueur quelques choix, mais des choix déterminants qui vont orienter l’issue de la partie. Le plaisir dans The Deed (en plus de débourser moins d’un euro) est de tester tous les possibles. En effet, il n’y a qu’une chose de certain, c’est qu’à chaque partie, la soeur du personnage joueur meure. Fort heureusement, elle est vraiment antipathique, comme le reste de la famille, ce qui motive (le personnage et le joueur) de passer à l’acte…

 

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Ronan Le Breton

Ronan Le Breton Story Designer Story Teller Narrative Designer Auteur de mauvais genres

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