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GoT : l’ère de la fandomination ? 2/2

Fandomination, Fanrevolution, Fanfriction = Kézaco ?

Avant de dérouler ma pensée, faisons le point avec tous ces néologismes que j’assène sur ce topic, et qui s’agitent comme des sombres rêves, des visions cauchemardesques, des présages de futurs risques artistiques et industriels :

  • Fandomination : les auteurs dictent aux auteurs l’écriture de leur série culte
  • Fanrevolution : les fans prennent le pouvoir sur la création et sur l’auctorialité, l’auteur n’est plus le seul maître à bord
  • L’auctorialité : la personne (physique ou morale : une société) qui a le final cut sur le récit : le scénario, la réalisation, la diffusion, le Lore (ce qui est canonique ou pas)…
  • Fanfriction : les fans sont frustrés par l’évolution de leur série…

J’ai déjà abordé cette montée en puissance de la parole des fans dans mon article sur la cyber haine qui s’est déchaînée à propos de la dernière saison de Game of Thrones. Certains en ont déduit que j’imagine un futur où le public votera pour la meilleure fin possible de son show préféré.

Ce n’est pas vraiment ce que je voulais dire. Certes, le choix du mot « fandomination » est provocateur, mais c’est bien l’idée, selon moi, de repérer un changement de paradigme. Le fait qu’avec la révolution numérique, la place du lecteur/spectateur se redéfinit. Il me paraît de plus en plus difficile pour les auteurs, quelque soit le médium, de s’enfermer dans leur tour d’ivoire d’artiste et se couper ainsi de leur base : leur public, les fans.

Fandomination : les séries dont le public est le héros auteur ?

Je disais que les créateurs et leur éditeur/producteurs/diffuseurs devront mieux prendre en compte les attentes des fans. Ce n’est pas en leur demandant de voter pour leur endgame favori parmi une 2, 3 ou 5 conclusions imaginés par les scénaristes. Loin de moi l’idée d’imaginer les séries (feuilletonnantes ou à rendez-vous) comme GoT, devenir des séries (partiellement) interactives.

Ce que j’entends par là, c’est que les narrations des séries feuilletonnantes du futur devront éviter de trop grosses frictions. En particulier mieux anticiper la divergence possible entre les attentes des fans et le rendu final du récit : la résolution et le détricotage des nombreux noeuds narratifs de l’intrigue. Dit autrement, les créateurs et diffuseurs de contenus fictionnels devront s’engager à mieux respecter leur promesse narrative. Respecter jusqu’au bout : la complexité de l’arche narrative, les fondamentaux de leur personnages, le rythme et la cadence.

Je l‘ai lu dans des articles ou des tweets. Si on reprend l’exemple de Game of Thrones… Ce que les fans digèrent mal est le revirement soudain de Daenerys, la fin brutale (pour ne pas dire WTF) du Night King. C’est surtout un souci de rythme. Si les auteurs avaient pris un peu plus le temps : amorcé la bascule lors de la saison 7, eu plus d’épisodes dans la saison 8… Les fans n’auraient pas dégainé leurs tweets et leur pétition.

L’industrie de la série (TV) versus la fandomination

Ce phénomène de mécontentement est, je le répète, pas nouveau mais il atteint des proportions inégalées jusque-là. La faute à qui : les fans ou le business model actuel de la série TV ? En effet, on se retrouve aujourd’hui au coeur d’un paradoxe, d’une contradiction :

  • L’hyperconnexion des fans sur le web et les réseaux sociaux
  • L’hyper investissement des fans pour les personnages de leur série culte
  • La nécessité de maintenir l’engagement du public que les auteurs réalisent par une surenchère de la tension, du mystère et du suspense

Cette équation (tension+mystère+cliff => engagement) poussent les scénaristes à repousser sine die la résolution finale. Dans le cas de GoT : « Qui va monter sur le trône de fer ? » Quand bien même les auteurs (je le pense) avaient gravé dans le marbre le nom de l’élu… Ils ont attendu le dernier moment pour le révéler. Et ça ne marche pas très bien. Bref, ce modèle de la sérialisation est excellent pour faire monter la tension et l’attente, mais il finit par décevoir quand arrive le temps de l’endgame : la résolution finale.

Et cette déception ne colle pas avec la présence médiatique de plus en plus forte des fans : web, forums, réseaux sociaux. Elle ignore (voire nie) la place devenue cruciale des fans dans le cercle vertueux de la production de fictions sérielles. Elle met en péril le modèle de production de la série dans une économie de l’attention très concurrentielle.

Auteur autant que spectateur/lecteur, je suis le premier à arbitrer entre TV, jeu vidéo, livre/BD et le temps d’investissement exigé par telle ou telle série…
Auteur, je me pose régulièrement la question de la pertinence de mes créations. Ai-je fait le bon choix ? En ai-je dit trop ou trop peu ?

Aujourd’hui, le jeu de la narration en série doit être un jeu gagnant aux deux extrémités = auteur ET public.

L’UX pour prévenir la fanrevolution ?

Et concernant les enjeux et les problématiques des nouvelles écritures ou du jeu (vidéo), je constate que ce questionnement est déjà intégré dans leur production. Il est normal pour un auteur interactif de prendre en compte l’éventuelle friction de l’utilisateur dans l’expérience. Dit autrement, un game designer ou un narrative designer intègre dans son travail de création le point de vue du public.

  • Ce dernier doit accepter librement ce qu’on lui propose de faire
  • Il doit on comprendre ce qu’on lui raconte
  • Il doit apprécier la cohérence et la congruence de l’expérience : le flow, le gameplay, l’univers visuel et sonore, l’intrigue, la promesse et la résolution finale…

Les auteurs de fictions interactives itèrent leur création. Ils prototypent et ils testent leur contenus avant de le mettre définitivement à la disposition du public. De là à dire que les futures productions de séries (TV) organiseront des bêta-test de l’arc narrative des 2 dernières saisons ? Je ne sais pas, en tout cas, les chaîne de production TV devront mieux respecter (ménager, anticiper) leur public coeur de cible, au risque de le voir décrocher avant la fin.

Car ce phénomène de friction des fans avec GoT était prévisible et va se répéter. il est inhérent à la pipe-line de la série TV actuelle, surtout aux USA. Et il est mal venu de ne pas considérer la mémoire du public. Les fans se souviendront de la décevante saison 8 de GoT, et de celles (inévitables) des futures séries cultes.

J’avance donc l’hypothèse, si rien n’est fait pour mieux satisfaire les fans jusqu’à la fin, que ces derniers vont devenir plus volatils et décrocher en cours de route. Les audiences s’effriteront avant la fin, ce qui risque de pousser les éditeurs/producteurs à conclure plus vite les séries. Le cercle vertueux de la série va devenir un cercle vicieux qui donnera naissance à des fictions qui montent fort en puissance mais s’effondrent maladroitement au milieu de la traversée…

Ce n’est vraiment pas le meilleur scénario que je souhaite pour les séries de demain. J’espère donc que le message (aussi haineux et excessif soit-il) des fans a été entendu. Respectez le public qui fait le succès des séries et proposez-leur une résolution à la hauteur de la promesse initiale et des attentes savamment entretenues.

Gare au risque de fandomination !!

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Ronan Le Breton

Ronan Le Breton Story Designer Story Teller Narrative Designer Auteur de mauvais genres

2 commentaires

  1. La création doit elle satisfaire l’envie du public ou le surprendre? Je reprendrais le propos d’un scénariste chez Marvel (Brubaker je crois sur Captain America mais je ne suis pas sûr) qui a dit qu’il n’était pas là pour aller dans le sens de l’attente des lecteurs mais de les surprendre. Et personnellement, j’aime être surpris par l’histoire. Bien sur, la surprise ne doit pas se faire ex nihilo ou par un piètre deus ex machina, il faut qu’elle ait une logique avec l’histoire, qu’elle soit bien amenée et pas posée là juste pour surprendre. Mais d’une part vouloir plaire à tous est le meilleur moyen de décevoir tout le monde, ou de faire des histoires plates et standardisées. Concernant les films ou série, les intérêts financiers poussent aujourd’hui à choisir des recettes fades ou des facilités scénaristiques. De plus, le succès de certaines séries poussent à les prolonger artificiellement par des cliffhanger et des changement d’orientation à répétition jusqu’à l’érosion des audiences qui amènent des fins bâclées pour non renouvellement de la série.
    Alors pour ma part je ne pense pas que l’avis des communautés de fans (qui sont actives mais pas forcément représentative de la majorité des spectateurs) doive orienter l’histoire. Par contre je crois qu’un auteur/scénariste/créateur devrait avoir la liberté de mener son œuvre vers la conclusion qu’il prévoit dès le départ. Même si je sais que les intérêts financiers en jeu ne le permettront jamais. (Par exemple pour rester sur GoT, si le roman n’avait pas déjà décris les noces pourpres, combien de morts auraient eu lieu selon la volonté des fans de la série par rapport aux victimes choisies par Martin???)

    • Manifestement, je me suis mal fait comprendre.
      Je ne cherchais pas dans mon article à prendre le parti des fans.
      Je suis moi même auteur, je tiens à ma liberté artistique.
      Maintenant en tant qu’auteur et lecteur/ spectateur, je vois très bien comment, à l’ère des mass médias et de l’économie de l’attention où les regards se fixent : les chiffres.
      Au delà du phénomène GoT (appelé à se répéter, j’en suis convaincu, c’est le sens de mon article), on voit bien les effets sur les productions de grosses licences. Notamment des IP tombées dans le giron de Disney : Star Wars et Marvel, justement.
      Pour paraphraser G. R. R. Martin : Winter is coming… 😉

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