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Pourquoi Everyday the same dream est un grand jeu

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Everyday the Same Dream

Est un jeu 2D, en flash, gratuit, réalisé par le studio italien MolleIndustria. Molleindustria est connu pour sa volonté de produire des jeux engagés, socialement et politiquement.

Paolo Pedercini, créateur de Everyday the Same Dream, affirme qu’il s’agit : « d’un petit-jeu existentiel qui met en perspective l’aliénation et le refus du travail ».

Je le propose souvent à mes étudiants (oui, il m’arrive d’enseigner la narration interactive dans un certain nombre d’écoles). L’expérience de jeu est certes minimaliste mais hyper cohérente. Le message passe avec brio, parce que le joueur ne l’entend pas mais le ressent, le vit dans ce petit parcours ludico-existentiel.

Everyday the Same Hell

Le joueur incarne un col blanc (on n’en sait guère plus), qui va tous les matins à son travail. Un travail répétitif qu’il effectue dans un box, perdu au milieu d’autres cabines comme la sienne, occupées par des employés qui lui ressemblent comme deux gouttes d’eau. Sans oublier que sa femme comme son patron le sermonnent au lieu de l’encourager. Durant son trajet en voiture, il se fait prendre dans les embouteillages avec d’autres voitures, identiques à la sienne. Bref, sa journée de travail est un enfer.

Et le lendemain, rebelote ! Le personnage joué se réveille de nouveau dans sa chambre et recommence une journée aussi morne et déprimante que la première. Le joueur panique ! Il se sent piégé comme Bill Murray dans Un Jour sans fin.

Le joueur comprend vite qu’il est bloqué dans cette routine auto-boulot-dodo (obstacle) et qu’il doit en sortir (objectif) s’il veut terminer la partie. Ce qui veut dire trouver les failles (stratégie) de ce parcours pas aussi linéaire qu’il en a l’air.

Every detail the Same Message

C’est là où ce jeu est un petit bijou de design. Pedercini, militant avant d’être game designer, a parfaitement compris que le jeu peut porter un message. Un message qui n’est pas un discours ni un témoignage, mais une expérience.

Everyday the Same Dream met le joueur à la place d’un citoyen aliéné, qui a abandonné tout libre-arbitre au profit des autres : sa femme, son patron, la société. Alors que le jeu proclame le joueur libre de tout faire, Everyday the Same Dream enferme le joueur dans une boucle de jeu a priori vide de fun et de reward.

Là où Pedercini est encore habile dans sa démonstration, c’est la cohérence, l’interdépendance des choix artistiques, techniques, ergonomiques et mécaniques. Pedercini a bien compris que l’expérience de jeu est un ensemble organique, qui vaut plus que la sommes des parties qui la composent.

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Everyday the same design

Pour preuve, si on se donne la peine d’étudier quelques éléments de conception de ce jeu, on se rend compte rapidement de la logique d’ensemble. Tous les éléments du jeu contribuent à la même expérience, la même intention, le même message qu’on peut résumer ainsi : l’aliénation du citadin-employé-mari qui n’est plus qu’un numéro parmi d’autres.

  • Technologie. Le choix de la 2D, le genre point’n’clic et une disponibilité en ligne correspond au public visé (grand public) et au message, plus important qu’un moteur 3D/temps réel qui exige un ordinateur plus puissant et forcerait à un traitement plus réaliste et  superflu (nous sommes dans la satire sociale).
  • Musique. La musique est simple et répétitive. Elle boucle. Ce qui correspond tout à fait à ce que vit le joueur : recommencer sans fin (ou presque) la même journée.
  • Direction Artistique. Les personnages sont stylisés. Ils sont génériques. Le personnage joué est indifférentiable de ses collègues de travail, ce qui accentue la sensation pour le joueur de n’avoir aucune identité ou personnalité. Idem pour les boxes et les voitures : elles sont toutes identiques. Quant au choix du ton monochrome, il accentue ce côté gris, froid, déshumanisé du monde.
  • Scénario. Il se semble se dérouler toujours de la même manière. Même après avoir accompli les différentes tâches, les dialogues ne changent guère, la progression semble la même. Seuls certains détails changent. Surtout à la fin (je n’en dirai pas plus). Ce n’est pas de la paresse. Le joueur est plongé dans une journée qui n’en finit pas de se répéter. Le scénario doit aussi se répéter, conformément à ce que le joueur doit vivre.
  • Interface et contrôles. L’interface est minimaliste. Elle ne donne au joueur que le minimum d’information : il se sent perdu dans cette boucle infernale. Idem pour les contrôles, il en a très peu à sa disposition, ce qui là encore limite sa liberté d’action, accentue son sentiment d’oppression, d’enfermement.
  • Gameplay. Last but not least, la mécanique de jeu semble pousser le joueur à avancer jusqu’à la fin de la journée avant de se réveiller et recommencer le même cauchemar. Au joueur de trouver les 5 interactions cachées qu’il faut entreprendre pour terminer le jeu. Everyday the Same Dream ne demande pas au joueur de faire des bonds spectaculaires, de tuer des méchants, battre son boss ou étrangler sa femme. Non, conformément à l’expérience (le vide existentiel d’un employé aliéné), le joueur est invité à repousser les limites apparentes de ce jeu qui veut rien offrir de fun. Ce qui va de soi. Rappelez-vous le film Un Jour sans fin : le protagoniste essaye tout ce qui lui passe par la tête pour sortir de cette sinistre journée de la marmotte !

J’espère vous avoir convaincu de l’importance d’une conception organique de l’expérience de jeu. Et puis, vous avoir donné envie d’expérimenter Everyday the Same Dream ou un autre des jeux engagés de Molleindustria.

 

 

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Ronan Le Breton

Ronan Le Breton Story Designer Story Teller Narrative Designer Auteur de mauvais genres

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